Vladimir Poutine répond aux questions de Dmitry Kisseliov : directeur général adjoint de VGTRK (Société nationale russe de télévision et de radiodiffusion, ВГТРК en russe), directeur général de l’agence Rossiya Segodnya — NdT]

Publié le 13 mars 2024 10:00 Moscou, Kremlin

D. Kisseliov : Vladimir Vladimirovitch, en énonçant votre Message [à l’Assemblée fédérale], vous avez, au sens figuré, sorti de votre manche [Tel un magicien — NdT] des billions [Billion : mille milliards, appelé «trillion» en russe — NdT] et des billions. Vous avez ainsi proposé un plan de développement du pays absolument stupéfiant — absolument stupéfiant. Il s’agit d’une Russie différente, avec une infrastructure différente, un système social différent — un pays de rêve, tout simplement.

Cela me donne envie de vous poser votre question préférée de Vyssotsky [Auteur-compositeur-interprète et acteur de théâtre et de cinéma, «conscience» du peuple soviétique — NdT]: « Où prendre l’argent, Zine ? » [*Voir la note en bas — NdT] L’avons-nous vraiment gagné, cet argent ?

V. Poutine : Oui, bien sûr.

Plus que cela : tout d’abord, tout cela a été planifié au cours travail minutieux de la communauté des experts, des spécialistes du Gouvernement et de l’Administration [du Président]. Tout est parfaitement conforme aux règles budgétaires et, en fait, assez conservateur, car certains experts pensent qu’il devrait y avoir et qu’il y aura plus de revenus. Cela signifie que nous aurions dû prévoir davantage de dépenses, car cela devrait avoir une incidence directe sur les perspectives de développement économique.

En général, c’est exact, mais en 2018, nous avions également prévu d’allouer 8 billions supplémentaires au développement de l’économie et de la sphère sociale, et nous avons ensuite augmenté ces dépenses. Je pense qu’il est tout à fait probable que, si les choses se passent comme le disent les optimistes du groupe d’experts que j’ai mentionné, nous pouvons — nous devons et nous pourrons — augmenter ces dépenses dans différents domaines.

D. Kisseliov : Nous parlons donc d’une période de six ans ?

V. Poutine :
 Exactement. Nous parlons d’une période de six ans. Nous sommes en train d’élaborer un budget pour une période de trois ans — une période de planification de trois ans, comme on dit. Mais, bien sûr, lorsque nous préparions le discours — je dis « nous préparions le discours » parce qu’il y a toute une équipe qui travaille sur ce sujet — nous avons supposé que nous calculerions nos recettes et nos dépenses dans les domaines que nous considérions comme clés, prioritaires, pour six ans.

D. Kisseliov : Il n’en reste pas moins qu’il y a des projets littéralement stupéfiants. Par exemple, l’autoroute Sotchi-Djoubga : 130 kilomètres, dont 90 kilomètres de tunnels, le reste étant probablement des ponts, à en juger par le paysage. Un milliard et demi [En fait, billion et demi — NdT] rien que pour les trois premières années, et l’autoroute devrait idéalement être prête en 2030. Quel est le montant nécessaire et sera-t-il suffisant pour gagner ?

V. Poutine :
 Les gens ont besoin de cette autoroute. Les familles avec enfants ne peuvent pas se rendre à Sotchi en voiture. Tout le monde s’arrête quelque part près de Gelendjik ou de Novorossiysk, parce que l’autoroute est très difficile — une route en serpentin.

Il existe plusieurs options de construction. Nous allons littéralement en discuter dans les prochains jours : soit la construire jusqu’à Djoubga, soit la construire d’abord de Djoubga à Sotchi. Certains membres du Gouvernement suggèrent de procéder par étapes. D’autres pensent qu’il faut faire le tout en même temps, sinon il y aura un couloir étroit de Djoubga à Sotchi.

La première partie, si vous regardez depuis Novorossiysk, est plus ou moins décente, et la couverture n’est pas mauvaise, mais elle est très étroite. Si nous arrivons à Sotchi comme la première partie, des embouteillages risquent de se produire dans ce petit espace, et il y en a suffisamment aujourd’hui.

En général, nous déterminerons cela avec des spécialistes — comment, par quelles étapes, mais cela doit être fait. Bien sûr, nous devons déterminer le coût final du projet et veiller à ce que tout le monde reste dans les limites des plans financiers.

L’intérêt de la gent d’abord, mais aussi de l’économie. Le développement des territoires dans le sud du pays est très important.

D. Kisseliov : Si nous pouvons nous permettre des investissements d’une telle ampleur, cela signifie que le pays s’enrichit rapidement, surtout dans les conditions de l’Opération militaire spéciale, dans les conditions de près de 15 000 sanctions, qui sont absolument sauvages. De plus, nous nous sommes donné pour mission de réduire la pauvreté, y compris chez les familles nombreuses. N’est-il pas trop audacieux ?

V. Poutine :
 Non. Écoutez, si nous revenons à cette autoroute. Lorsque j’en ai discuté avec des membres du Gouvernement — comme vous le savez, le ministère des finances est toujours avare dans le bon sens du terme, toujours très conservateur en matière de dépenses — le ministre des finances [Antone Silouanov] m’a dit, presque mot pour mot : « Uniquement ceux qui n’ont jamais emprunté cette route s’opposent aujourd’hui à sa construction ».

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Russie : un état des lieux (interview pour POLEMIA)

« Tout le monde en Occident pense que la Russie est une station à essence géante, et rien d’autre. C’est une erreur colossale. »

À en croire médias et politiques occidentaux, deux ans après le lancement de son “Opération militaire spéciale” en Ukraine, la Russie est au bord du gouffre. Qu’en est-il réellement ? Pour en parler, nous donnons la parole à Alexandre Latsa, bien connu de nos lecteurs. Entrepreneur français installé à Moscou depuis 2008, il dresse pour Polémia un état des lieux aussi fidèle que possible de la situation sur place.

Bonjour Alexandre Latsa, nous sommes heureux de vous retrouver. Quelle est la situation en Russie en ce début mars 2024 ?

La Russie vient au cours de derniers 24 mois de traverser une séquence historique absolument unique dans l’histoire, séquence historique qui va sans doute entrainer une modification en profondeur de l’ordre mondial établi en 1991, unipolaire et dominé par l’Occident collectif.

La Russie a déclenché en février 2022 une opération militaire spéciale en Ukraine qui la voit indirectement affronter l’OTAN sur le plan militaire via le proxy ukrainien, proxy sous perfusion occidentale et qui a reçu une aide financière, militaire et logistique absolument colossale.

Elle affronte aussi l’Occident collectif dans une guerre économique sans précèdent, faisant face à près de 20.000 sanctions destinées à étouffer son économie. Et pourtant…

Sur le terrain militaire, la Russie vient de faire face à près de 7 mois de contre-offensive ukrainienne sur l’année 2023 mais c’est elle qui accumule les victoires militaires : Soledar et Bakhmut en 2023 et Avdeevka en 2024.

Sur le plan économique, son économie s’est avérée beaucoup plus solide qu’attendu, puisque l’année 2022 a vu son PIB diminuer de « seulement » 2,5% tandis qu’en 2023 elle a connu une croissance économique de 3,5% et que le FMI annonce une croissance d’au moins 2,6% sur 2024, on sera sans doute bien au-delà de 3%.

Comment expliquer cette résilience économique russe ?

Tout le monde en Occident pense que la Russie est une station à essence géante, et rien d’autre. C’est une erreur colossale.

La Russie est un pays qui s’est énormément réindustrialisé durant les 15 dernières années et le complexe militaro-industriel et l’industrie en général sont en pointe ; il faut savoir que la part de l’industrie dans le PIB russe est de 26% en Russie, soit le double de la France.

L’industrie de défense a créé quelques 500.000 emplois depuis le début de la guerre tandis que la Russie produit aujourd’hui environ 2,7 millions d’obus par an alors que l’effort des 27 pays de l’UE porteraient la capacité de production annuelle du bloc entre 1,5 million et 1,7 million cette année (source).

Une autre chose est que les fondamentaux économiques, politiques et humains de la Russie sont sains : le pays n’a pas de dette, l’État est riche et puissant, car la chaine de fonctionnement (présidence, chambres basses et haute, gouvernement, régions, pouvoirs locaux etc..) est unie et coordonnée. La verticale du pouvoir, tant décriée en Occident, s’est avérée efficace pour prendre des mesures radicales et efficaces rapidement.

Enfin la population est d’un niveau global élevé, la Russie est le pays au monde qui produit le plus d’ingénieurs par habitant. La Russie produit 450.000 ingénieurs par an avec ses 145 millions d’habitants tandis que les Etats-Unis produisent eux 250.000 ingénieurs par an avec 320 millions d’habitants, et la France 40.000 ingénieurs par an avec 69 millions d’habitants.

Quelle est l’ambiance en Russie aujourd’hui ?

Le début de l’opération militaire spéciale a été une surprise pour tout le monde et dans les premières semaines, c’est la stupeur qui a prévalu en Russie, et une relative inquiétude du fait des vagues de sanctions.

L’automne a été source d’angoisses au sein de la société avec l’échec des négociations, la mobilisation, les retraits tactiques de l’armée russe de Kherson et Kharkov etc. Les sondages montraient que la société russe fin à la sortie de l’été 2022 était dans un stress profond.

Puis sur la fin 2022, courant 2023 et en ce début 2024, la situation s’est largement améliorée, avec la prise de conscience que :

  1. le conflit allait durer
  2. l’économie tenait parfaitement le choc.

Aujourd’hui la Russie a un chômage quasiment nul, il est de 2,9% et inférieur à 1% dans les grandes villes. Cela entraine une surchauffe de l’économie qui manque de main d’œuvre, pénurie aggravée par le fait que des centaines de milliers d’actifs « potentiels » sont sur le front et d’autres hors de Russie.

Au global, la situation est la résignation positive : les russes sont assez soudés derrière leur élite politique en ayant bien compris que le conflit pouvait durer mais que l’économie de leur pays ne s’effondrait pas.

Qu’en est-il de la situation réelle du business européen en Russie ?

Les entreprises étrangères sont tombées dans le piège de la moraline médiatique et ont opté en règle générale pour 3 scénarios :

  • Faire profil bas et rester.
  • Quitter la Russie, généralement en cédant a des repreneurs locaux avec de lourdes pertes financières (l’exemple de Renault).
  • Annoncer quitter le marché, mais en rebrandant leur filiale ou alors en fournissant le marché russe via d’autres pays.

Mais tout cela ne peut pas masquer une dure réalité : la Russie est un grand marché et la place de ces entreprises occidentales qui baissent la garde sera reprise par des acteurs d’autres pays : Chine, Turquie, Inde ou Iran par exemple. Ces processus sont, du reste, déjà visibles en Russie.

Vous avez créé un service qui s’appelle la RUSPATRIATION, de quoi s’agit-il ?

Depuis quelques années, on constatait en Russie une forte tendance à la hausse de l’immigration d’Occidentaux vers la Russie. Les motivations sont principalement économiques mais aussi idéologiques : la Russie est clairement devenue le bastion du conservatisme et un pays qui ne suit pas la détérioration sociétale que connait l’Occident.

Le déclenchement de l’Opération militaire spéciale, de façon inattendue, a accentué cette volonté d’immigration vers la Russie. Malgré tout le scenario narratif mis en place dans l’espace médiatique occidental, un nombre croissant de gens, en Occident, semble comprendre que cette confrontation va accélérer la défaite de l’Occident, pour paraphraser le titre du dernier livre de l’excellent Emmanuel Todd.

Par conséquent j’ai créé un dispositif d’accompagnement à l’émigration en Russie : la “Ruspatriation“. Ce dispositif est destiné aux étrangers (principalement francophones) qui souhaitent lier leur destin avec celui de la Russie, que ce soit ceux qui ont un intérêt personnel pour la Russie, ceux qui souhaitent voyager et découvrir le pays, ceux qui travaillent avec la Russie et des russes et bien entendu tous ceux qui pensent à déménager pour venir vivre et travailler en Russie.

Nous accompagnons nos clients sur le plan touristique, linguistique, économique, juridique, professionnel, migratoire, immobilier etc.

Est-ce facile de venir en Russie aujourd’hui ?

Si l’on parle de venir visiter la Russie, oui le pays est totalement ouvert et les autorités ont même grandement facilité l’obtention des visas en 2023 en instaurant un “E Visa” pour les citoyens de 55 pays et notamment des pays non amicaux ; également il y a des suppressions de visas pour les ressortissants de divers pays donc oui la Russie est plus accessible depuis le début de l’opération militaire spéciale.

S’il s’agit de venir s’installer en Russie pour y résider, il y a diverses façons de procéder ; mais le plus complexe pour les Européens aujourd’hui est clairement la recherche d’emploi, dans le contexte de départ des entreprises européennes : pour travailler en Russie en 2024 : il faut parler russe !

Source

Discours du Président Poutine lors de la cérémonie de clôture du Festival mondial de la jeunesse

Le Festival mondial de la jeunesse (FMJ) se déroule du 1er au 7 mars sur le territoire fédéral russien de Sirius. Environ 20 000 personnes de Russie et de 190 pays du monde ont participé au forum de la jeunesse. L’objectif du festival est de contribuer à tisser des liens entre les jeunes et les actifs de toute la planète, qui devront construire ensemble un avenir commun — un monde multipolaire basé sur la coopération et la recherche d’un équilibre des intérêts.

Avant le début de la cérémonie, Vladimir Poutine s’est brièvement entretenu avec les étudiants étrangers qui étudient en Russie et participent au festival.

Discours lors de la cérémonie de clôture du festival

Vladimir Poutine : Bonsoir, chers amis !

Je suis sûr que vous êtes de bonne humeur aujourd’hui. Mais je suis sûr qu’il y a aussi une pointe de tristesse, parce que nous allons devoir nous séparer de ceux que vous appelez maintenant vos amis, de vos nouveaux amis.

Lorsque nous vous avons invité à venir en Russie, nous avons fixé des objectifs assez simples. Nous voulions créer des conditions de liberté, de créativité, d’amitié, qui vous permettraient de communiquer entre vous, de trouver de nouveaux amis, et peut-être des partenaires pour vos projets futurs. J’espère que nous avons réussi. (Applaudissements.) Merci beaucoup pour cette évaluation.

Mais vous avez réussi au-delà de nos espérances. C’est vous qui avez créé ici, dans le sud de la Russie, une véritable ville de la jeunesse du monde. Je vous remercie.

Vous êtes si différents. Je regarde le public : tout le monde est très différent. Je viens de rencontrer des jeunes de différents pays qui étudient dans des universités russiennes. Tout le monde est si différent. Comment avez-vous réussi à créer cette ville des jeunes du monde entier ? Comment, si on est si différent ? Apparemment, il y a quelque chose qui nous unit tous. Aujourd’hui, en Russie, nous appelons cela nos valeurs traditionnelles. C’est le fondement de notre vie, de notre existence. Cela signifie qu’il y a quelque chose que nous avons tous en commun. Et la première chose qui me vient à l’esprit, c’est que même si nous avons l’air différents — il suffit de regarder ces jeunes là-bas — bonjour ! — pour comprendre que nous sommes différents en termes d’apparence, de couleur de peau, peut-être d’une autre manière — il y a quelque chose qui nous unit tous. Qu’est-ce que c’est ? Nous sommes tous des êtres humains ! Et nous sommes tous égaux !

Et si nous sommes tous égaux, alors il n’y a pas de place dans le monde pour une quelconque forme d’exclusivité. Il n’y a pas de place dans le monde pour l’arrogance, la ségrégation et tous les phénomènes fondés sur ce motif déformé de l’exclusivité de qui que ce soit.

Nous sommes tous égaux dès notre naissance. Nous sommes tous égaux à partir du moment où nous sommes grâce à papa et maman — c’est ainsi que les gens viennent au monde aujourd’hui, il n’y a pas d’autre moyen, même avec la technologie moderne. Il y a toujours un homme et une femme.

À ce propos, la Journée internationale de la Femme sera bientôt célébrée dans de nombreux pays du monde. Applaudissons nos femmes, nos filles !

Nous naissons donc égaux, mais la question est de savoir si nous grandissons, si nous nous développons dans des conditions égales. La réponse est malheureusement non. Il n’y a pas de conditions égales pour tous dans le monde. C’est la principale injustice de l’ordre mondial actuel, du monde actuel.

Et si vous me demandez : est-il possible de faire en sorte que chacun ait des conditions égales et grandisse dans des conditions égales, se développe, découvre ses talents pour le bénéfice de ses proches, de sa famille, de son pays, et peut-être de l’humanité tout entière ? Je n’en sais rien. Mais ce que je sais, c’est que nous devrions tous nous efforcer d’y parvenir. Le fait même que nous nous y efforcions rendra le monde plus transparent, plus juste, plus démocratique, plus durable, plus équilibré et plus sûr.

Chers amis !

Vous êtes venus en Russie, vous vous êtes fait beaucoup d’amis ici. Je veux que vous sachiez que toute la Russie est désormais votre amie. Nos portes vous sont toujours ouvertes, à toutes vos nobles entreprises.

Je suis sûr que vous connaîtrez de nombreux succès. L’un des slogans du festival d’aujourd’hui est « Commençons l’avenir ensemble ». Considérons que l’avenir a commencé. Mais la façon dont il se déroulera dépend de vous.

Je vous souhaite de réussir. Soyez heureux !

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