Category Archives: Voix de la Russie

Evènements en Ukraine : une guerre de civilisation ?

bigLes derniers développements en Ukraine libérée confèrent une plus grande lisibilité à l’environnement international qui entoure ces évènements. Alors que la situation militaire s’est malheureusement détériorée dans l’Est du pays, dans les officines diplomatiques un embryon de consensus semble se dessiner entre Bruxelles, Moscou et le nouveau président ukrainien.

Celui-ci, qui tente d’asseoir son pouvoir pour rétablir le calme et l’ordre dans le pays, fait face à deux fronts intérieurs bien différents. Il y a d’abord celui des fédéralistes de l’Est bien entendu, mais également celui des « durs » de l’Ouest et du centre du pays. Au sein de ce second front intérieur on peut citer certains mouvements patriotiques tels que Patrie de Ioulia Timoshenko, la galaxie Svoboda/Pravy Sektor ou les nouveaux roitelets locaux, ces oligarques gouverneurs de régions comme Igor Kolomoïski, l’un des principaux sponsors du Maïdan et de la nouvelle garde nationale ukrainienne qui combat du reste dans l’Est du pays. Continue reading

Réflexions sur l’Ukraine « libérée »

From L-R,French President Hollande, French philosopher Levy, Ukraine opposition leader Klitschko of Ukraine and Poroshenko, member of Ukraine's parliament, pose at the Elysee Palace in Paris

Les élections en Ukraine viennent de se terminer et le monde entier a pu constater l’état de névrose politique dans lequel se trouve ce pays.

Sans trop de surprises c’est l’oligarque Porochenko qui a été élu président du pays avec 54 % des voix au premier tour, soit un score équivalent à celui obtenu par Vladimir Poutine en 2000. L’oligarque Porochenko, dont les visites en France durant le Maïdan se faisaient systématiquement accompagné de son « ami » Bernard-Henri Lévy a pu bénéficier d’une situation politique interne difficile (Du Maïdan à la Crimée en passant par le Donbass) mais surtout de l’étonnante maladresse de tous les autres principaux candidats, à commencer par l’égérie de la révolution orange, Ioulia Timoshenko, qui n’obtint que 12,8 % des suffrages.

La belle Ioulia avait créé un petit scandale durant la campagne en affirmant qu’il fallait «prendre les armes et aller buter ces chiens de Russes et leur foutu chef », « Soulever le monde entier pour qu’il ne reste même plus un champ brûlé dans cette foutue Russie », «Pulvériser (les Russes) à l’arme atomique » et encore qu’elle pourrait « prendre sur le champ un automatique et mettre une balle dans la tête de ce salopard (de Poutine) ». Heureusement pour la paix en Europe, et visiblement à la grande déception de la fraction la plus dure du département d’Etat, Ioulia Timoshenko n’a pas convaincu le peuple ukrainien, malgré ses menaces de Nouveau Maïdan, cette fois dirigé contre ses alliés d’hier.

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« Le salut de la France, une des grandes tâches universelles de la Russie »

9Washington_Army_and_Navy_Club_2010Né en France, Alexandre Havard est également Russe. Il a travaillé comme avocat à Paris puis Strasbourg et Helsinki et dirige le Havard Virtuous Leadership Institute, via lequel il enseigne le leadership. Ses ouvrages ont été traduits en plus de 15 langues et il réside désormais à Moscou.

En 2013 a été publié son ouvrage « Un chemin russe » qui est plus qu’une biographie mais un ouvrage sur la foi, la France et la Russie.

La Voix de la Russie : Bonjour et merci de répondre aux questions de La Voix de la Russie, présentez-vous s’il vous plait ?

Alexandre Havard : Je suis franco-russo-géorgien. Trois de mes grands-parents qui résidaient à Saint-Pétersbourg et Tbilissi, ont fuit le communisme dans les années 1920 et se sont réfugiés en France. Je suis né à Paris ou j’ai fait mes études de droit. J’ai vécu en Finlande 18 ans. Je vis en Russie depuis sept ans. Continue reading

La Russie, par-delà l’Europe ?

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A la fin de l’année 2010, j’écrivais un texte intitulé Moscou, capitale de l’Europe dans lequel j’appelais à la réalisation d’un projet politique reposant sur la création d’une entente approfondie entre Paris, Berlin et Moscou.

 

Une entente des nations dominantes du continent afin de permettre la réalisation du projet français d’union continentale, un demi-siècle après qu’il ait été formulé par le Général De Gaulle.

Ce projet aurait eu le double intérêt historique et géopolitique de permettre le rapprochement de l’Europe de l’Ouest et de la Russie mais aussi et surtout de permettre le renforcement d’une forme d’équilibre et de multipolarité au sein de l’hémisphère nord.

Près de quatre ans après la publication de ce texte, il semble que la chance de voir se réaliser ce moment historique, destiné à permettre l’émergence d’un monde multipolaire et donc d’équilibre des puissances, soit totalement passée.

L’occupation croissante des espaces politiques, moraux, culturels et sécuritaires des nations européennes par les réseaux américains et l’Otan, processus entamé en 1945, a entrainé l’Atlantisation (on peut parler d’Otanisation) que vit l’Europe actuellement, processus qui devrait vraisemblablement s’accentuer avec la concrétisation de l’union transatlantique en 2015.

A l’Est du continent, de nouveaux signaux sont également apparus. Le réveil russe s’est accompagné d’une mise en garde à l’Occident, après la guerre en Géorgie, que l’extension de l’Otan ne pouvait pas être infinie mais était clairement ressentie par Moscou comme une pression et une agression. Les propositions russes d’architecture européenne commune de sécurité se sont-elles heurtées au mur étoilé de l’Otan, tandis que l’intégration militaire au sein de l’Eurasie n’a pour l’instant trouvé des oreilles qu’à l’Est et non à l’Ouest du continent. Continue reading

Сinq mythes sur la Russie actuelle

Dans la série des articles sur les “Mythes sur la Russie” , Ivan Blot a écrit cet article remarquable pour Voix de la Russie.

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Certains de nos contemporains croient vivre dans un siècle de lumières alors que l’obscurantisme continue à faire des ravages. Cet obscurantisme concerne tout particulièrement nos relations avec la Russie.

L’écrivain Wodzinsky [1] constate : « nos clefs pour comprendre la Russie rouillent sous l’effet de la nouveauté (.) Nous nous efforçons de déchiffrer la Russie à l’aide de codes périmés de barbarie (asiatique) et de démocratie (européenne) en fabriquant des poncifs stériles (..). La Russie contInue à remplir pour l’Europe une fonction archaïque de catharsis, de remède à ses souffrances internes. (..) L’Occident à exporté à l’Est ses propres déchets. Peut-être y a-t-il perdu son âme ! »

Après tout, Hitler est bien un produit de l’Occident (son livre de chevet fut longtemps un livre sur les Juifs de Henry Ford, l’industriel américain !). Le marxisme allemand aussi et la Terreur révolutionnaire qu’admirait tant Lénine fut une invention française ! Alors pourquoi diaboliser la Russie comme si elle avait le monopole de l’arriération et du totalitarisme ?

Les cinq « clés rouillées » que nous utilisons encore sont les idées d’économie de rente, de continuité du totalitarisme, d’effondrement démographique, de persistance du goulag et de l’immoralité. Continue reading

7 mythes sur la Russie de Poutine : l’URSS 2.0 !

Рабочая поездка В.Путина в Северо-Западный федеральный округArticle publié sur la Voix de la Russie et sur Ria-Novosti.

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Les mythes sur la Russie de Poutine : un regard critique d’Alexandre Latsa, écrivain et analyste français, et de Pierre Gentillet, président des Jeunes de la Droite Populaire afin de permettre aux lecteurs de se faire une idée un peu plus objective sur la Russie d’aujourd’hui.

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Le président russe Vladimir Poutine, qu’une commentatrice talentueuse a récemment qualifié de « volcan de givre », vient de jouer un drôle de tour à la communauté internationale en agrandissant le territoire de la Russie vers l’ouest et l’Europe.

Pourtant cette réunification des territoires russes n’est pas si inattendue qu’il peut paraitre et s’inscrit dans une logique politique et stratégique tout aussi méconnue que ne l’est la situation réelle en Russie, pays victime de préjugés et de mythes apparus au cours des dernières années au sein de la majorité des médias occidentaux.

Par souci de vérité et volonté de reinformation nous avons choisi de porter un regard critique sur ces mythes afin de permettre aux lecteurs de se faire une idée un peu plus objective sur la Russie d’aujourd’hui. Continue reading

Eléments de réflexion sur la crise en Crimée

9Bez_imeni-1es dernières semaines ont vu une accélération de la bataille d’influence et de communication contre la Russie et qui se concentre actuellement bien évidemment autour des événements en Ukraine. Le Mainstream médiatique fait tout pour étouffer les aspects non lisses (non acceptables) de ces événements et montrer du doigt les responsabilités russes. Pourtant certaines réalités ne peuvent être occultées.

L’annexion russe en Crimée…

… n’en est en réalité pas une. Continue reading

Crimée : deux systèmes de droit pénal peuvent coexister dans un État

Ekaterina Kopylova, bonjour, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs?

– Bonjour. Je suis spécialiste en droit pénal international, je prépare ma thèse de doctorat sur la base du MGIMO dont je suis diplômée. Profession oblige, je vis actuellement aux Pays-Bas.

– Depuis le 18 mars dernier la Crimée fait partie de la Russie. Quel est le plus majeur défi que cette adhésion ait posé pour les juristes russes?

– Le Traité d’adhésion laisse jusqu’au 1 janvier 2015 pour la mise en place en Crimée et à Sebastopol du système légal russe et, quant aux lois et règlements, ils sont entrés en vigueur le jour même de la signature. Concrètement cela veut dire que depuis le 18 mars les juristes de ce pays sont mobilisés pour créer ce qui ressemblerait à un schéma transitoire adéquat.

– Je présume qu’une partie de cette mobilisation vous concerne personnellement.

– En tant que pénaliste, je me pose la question de savoir comment va se dérouler l’introduction du Code pénal et du Code de la procédure pénale. L’un des piliers du droit pénal qui est, au fil du temps, aussi devenu l’un des droits de l’homme les plus ardemment défendus, est le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale. Cela veut dire que quelqu’en qui commet un crime doit obligatoirement être jugé conformément à la loi qui était en vigueur au moment de la commission. Et il s’agit non seulement de savoir si l’acte était criminalisé ou pas; la prescription, les défenses dont l’accusé pourrait exciper s’apprécient également à la lumière de la loi applicable au moment des faits.

Maintenant, il est clair que tous les crimes commis après le 18 mars vont être jugés selon les dispositions du Code pénal russe. Mais quid alors des crimes qui ont eu lieu avant, à l’époque où la loi ukrainienne était applicable?

– Est-ce un problème que d’appliquer la loi ukrainienne?

– D’un point de vue légal, non, ce n’en est pas un. Par contre, l’attitude des juges, du ministère public et du comité d’instruction pourrait se révéler problématique. C’est un lieu commun que la loi pénale est d’application strictement territoriale et que par conséquent un juge russe ne pourrait jamais appliquer une autre loi que la loi russe. C’est un malentendu qui subsiste, qui est profondément ancrés dans l’esprit de la plupart de nos juristes, alors même que ces mêmes juges n’ont aucun problème à appliquer une loi allemande ou vénézuélienne dans une affaire civile. Et pourtant le principe est le même.

– Connaissez-vous des exemples ici ou ailleurs qui ont donné lieu à une application de la loi pénale étrangère dans de pareilles circonstances?

– Après que l’Alsace et la Lorraine sont devenues françaises à l’issue de la Première guerre mondiale, les autorités françaises ont été confrontées à exactement le même défi. Ou plutôt leur défi était même plus important, étant donné que les lois allemandes et françaises à l’époque – et maintenant, j’imagine – divergeaient beaucoup plus que  les lois russes et ukrainiennes. Deux décrets ont été adoptés en 1919 dont je conseillerais à nos législateurs de s’inspirer. Ils prévoyaient l’application de la loi allemande aux faits ayant eu lieu dans le territoire alsacien avant l’introduction des lois pénales françaises et prescrivaient que la peine la plus douce soit imposée aux condamnés entre la peine allemande et la peine française. Mais le plus formidable est que certaines dispositions pénales allemandes étaient maintenues en vigueur même après que les lois pénale et d’instruction criminelle, comme l’on disait à l’époque, françaises avaient été introduites! C’est juste pour dire que deux systèmes de droit pénal peuvent parfaitement coexister dans le cadre d’un État.

– Qu’est-ce qu’il a d’aussi particulier, ce précédent, pour que vous appeliez les autorités russes à en prendre exemple?

– L’une des raisons pour lesquelles je fais sa promotion est qu’il a été élaboré en tenant compte des échecs précédents. En tout cas c’est ce que prétend le commissaire général de la République dans un rapport qui accompagne l’un des décrets.

– Y a-t-il d’autres exemples?

– Il y en a plein, en fait, vu que ce n’est pas les changements de souveraineté sur un territoire qui manquent dans l’histoire de l’humanité. On est habitué à parler de la réunification de l’Allemagne. Mais légalement parlant, qu’est-ce que c’était? C’était une disparition de l’Etat est-allemand et une adhésion simultanée du territoire sur lequel il avait autrefois été souverain à la République fédérale. Une situation assez comparable à ce qui c’est passé avec la Crimée après qu’elle a déclaré son indépendance de l’Ukraine. Les allemands aussi ont opté pour l’application de la loi pénale est-allemande aux faits qui y avaient été commis avant la réunification. La loi d’un État qui entre temps avait cessé d’exister!

– Supposons qu’il soit décidé c’est le Code pénal ukrainien qui va s’appliquer aux faits ayant eu lieu avant le 18 mars dernier. A l’heure où nous parlons il y a peut être des instructions ouvertes pour atteintes au système budgétaire de l’État – ukrainien, corruption d’agents publics – ukrainiens. Que devrait-il en advenir?

– C’est, d’après moi, le sujet le plus compliqué. Normalement, la justice russe n’a pas intérêt à poursuivre les personnes qui commettent des crimes contre les intérêts d’un État étranger. Par exemple, un agent consulaire, qui dans son consulat à Moscou aurait bradé des visas contre de l’argent, n’aurait pas été poursuivis pour corruption en Russie avant 2011 parce que ce sont les intérêts publics de la France qui auraient été attaquées (après 2011 la corruption d’agents publics étrangers a été spécialement criminalisée). Il en va de même pour les crimes contre la sûreté de l’État, le budget, etc. Je crois que dans le cas dont nous parlons il faut faire une distinction entre les crimes dont l’objet est à ce point indissociable de la souveraineté ukrainienne qu’ils doivent tout simplement être excusés et les autres, je pense, notamment à la corruption ou crimes fiscaux qui pourraient toujours être poursuivis. C’est la prévention que je vise ici en premier lieu, mais un petit bonus serait que ce genre de crimes est généralement puni d’une amende qui serait versée au budget russe.

– Comment les peines ukrainiennes vont-elles être exécutées?

– Là encore j’en appèlerais au précédent alsacien. Les Français ont dessiné un tableau de correspondance des peines. C’étaient donc les peines allemandes qui étaient prononcées, à condition d’être plus douces que les peines françaises, mais dans leur équivalent français. Par exemple, un ‘haft’, qui est le seul mot allemand que je puisse prononcer, équivalaient à un emprisonnement de police de un jour à six semaines. On pourrait faire la même chose avec les peines russes et ukrainiennes. Cela ne devrait pas être trop compliqué puisqu’elle correspondent parfaitement. La confiscation, inconnu du droit pénal russe, est une peine complémentaire et pourrait, à mon avis, être omise du tableau.

– Quelles autres dispositions suggèreriez-vous d’examiner?

– J’insisterais sur une disposition en particulier. Les citoyens russes ne peuvent pas être extradés sur la requête d’un État étranger pour y être jugés, notre Constitution ne le permet pas. Mais il n’est pas totalement clair si un citoyen russe naturalisé peut être extradé pour des actes qu’il aurait commis avant sa naturalisation. Les pratiques des États divergent sur ce point, certains, comme la Pologne, refusent d’extrader même les réfugiés n’ayant pas la nationalité polonaise. Les pays scandinaves étendent la clause de la non-extradition des nationaux aux personnes domiciliées sur leur territoire. Et le Luxembourg n’extrade pas ceux qui se sont intégrés avec succès dans la communauté nationale – fin de citation. Afin de protéger les intérêts des habitants de la Crimée et de Sébastopol devenus citoyens russes et de réaffirmer le principe de l’unité de la citoyenneté russe, je suggère qu’il soit pourvu dans la loi qu’ils ne seront pas extradés vers un État étranger pour des faits commis avant leur naturalisation.  

L’article a été publié initialement sur le site de Voix de la Russie

Printemps en Crimée : vers la fin du monde unipolaire ?

La visite du président américain a vraisemblablement confirmé l’improbable : le « mouvement géostratégique » russe pourrait initier la sortie du monde de l’instant unipolaire qu’il connaît depuis 1991 et marquer le coup d’arrêt de la domination totalitaire américaine (politique, économique ou militaire) en Europe et en Eurasie.

A la veille de sa tournée de six jours en Europe, le président américain assurait pourtant que les sanctions contre la Russie seraient lourdes et sévères. Sa tournée en Europe devait soi disant lui permettre de réaffirmer la totale unité entre l’Amérique et l’Europe au sein de l’OTAN (pour le « bien du monde ») et par la même l’isolement de la Russie sur la scène internationale.

Cette totale unité de l’Amérique et de l’Europe selon les règles de l’OTAN reste en réalité à sens unique et la délégation américaine n’a même pas pu contenir son mépris lors dupathétique discours du président du Conseil européen Herman Von Rompuy lors de sa conférence de presse avec le président américain à Bruxelles.

Si l’Europe a rarement semblée aussi désunie, il en va visiblement de même pour l’intangible partenariat euro-américain.

Barack Obama a en effet pu constater à quel point les nations européennes, à la grande différence de Bruxelles, refusent clairement et simplement le diktat américain contre la Russie. Certaines comme la Suisse ou la Finlande affirmant clairement leur refus d’intégrer certaines personnalités russes sur les « listes américaines » pendant que d’autres, comme la France, choisissaient souverainement de poursuivre de lourds échanges économiques (et militaires) avec la Russie, comme la livraison des Mistral.

Les nations européennes n’ont évidemment aucun intérêt à se brouiller avec la Russie alors que leurs échanges économiques réciproques sont non seulement très importants mais surtout croissants, comme c’est le cas pour la France par exemple. France qui comme lerappelait récemment Emmanuel Quidet, président de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe, est devenue le « 3ème investisseur étranger en Russie (…) alors qu’elle occupait la 9ème place en 2008 ».

Si le président du Conseil européen a été littéralement humilié, le président américain ne manque visiblement pas non plus d’humour lorsqu’il affirme que la Russie est aujourd’hui devenue une « puissance régionale en perte d’influence ». Cette image du colosse aux pieds d’argile qui accompagne la Russie depuis son retour dans les affaires du monde ne s’applique en effet certainement plus sur le plan politique comme les événements en Crimée viennent de le confirmer.

La Russie est au contraire en train de redevenir un modèle régional que les habitants de Crimée sont les premiers mais sans doute pas les derniers à reconnaître publiquement. Il y a sans doute une raison simple à cela. La politique américaine de prise de contrôle des pays de l’ex-espace soviétique au cours de la dernière décennie s’est avéré un échec avec des effets retors imprévisibles : la prise de pouvoir d’élites aux ordres (issues des révolutions de couleurs ou de processus politiques plus traditionnels) dans les pays voisins de la Russie a entrainé un affaissement et un appauvrissement de ces Etats.

Dans le même temps (depuis 2000) les élites russes ont elles mis fin à la récession économique, permis le doublement du PIB par habitant (en monnaie constante), créé une balance des paiements courants devenue fortement et structurellement excédentaire, réduit l’inflation à moins de 6% (contre 100% dans les années 90), réduit la dette publique de 90% à moins de 10% du PIB, réduit le taux de pauvreté de plus de 50%, permis la hausse des réserves de change par 48 fois, la nationalisation de 95% du secteur énergétique, la hausse des salaires dans le public par 18,5, la hausse des pensions par 12, l’arrêt de l’effondrement démographique et surtout stoppé le processus de décomposition politique et d’éclatement territorial qui guettait le pays.

Une situation inverse à celle que connaît par exemple l’Ukraine d’aujourd’hui (mais pas seulement) et les habitants de Crimée, en votant leur rattachement à la Russie, ont clairement exprimé leur soutien à ce modèle fort. Un modèle fondé sur la réaffirmation de l’autorité de l’Etat et dans lequel les oligarques ont été mis en prison pendant qu’en Ukraine, l’Etat s’effondre alors que les oligarques sont en train d’arriver au pouvoir, que ce soit dans les régions ou au sommet de l’Etat, les deux candidats présidentiables, Timoshenko et Porochenko étant tous deux oligarques.

Que se passera-t-il demain si des millions d’Ukrainiens supplémentaires, des millions de Kazakhes, de Biélorusses ou des dizaines de milliers de Moldaves choisissent, par pragmatisme et face à des situations économiques désespérées, de vivre comme des Russes et non comme des Grecs ?

Reparti quasi-bredouille de sa tournée européenne, le président américain a martelé l’importance des pays Baltes et de la Pologne dans le dispositif d’extension de l’OTAN sur la frontière Est de l’Europe en affirmant « qu’aujourd’hui des avions de l’Otan patrouillent dans les cieux de la Baltique, nous avons renforcé notre présence en Pologne et nous sommes prêts à faire plus ».

De plus, cela signifie visiblement pour les stratèges américains de transformer du gaz de schiste et de tenter de le vendre sous forme de gaz naturel liquéfié justement aux pays baltes et à la Pologne (dont la dépendance énergétique envers la Russie est aujourd’hui quasi totale), transformant ainsi les plus fidèles alliés européens de l’OTAN en relais militaro-énergétiques américains au cœur du continent. Une mesure qui traduit bien l’inquiétude et l’impuissance de la diplomatie américaine alors que les contributions de la plupart des pays d’Europe à l’OTAN sont elles en baisse.

A la veille de la création du marché transatlantique, pour lequel le président Obama aactivement mais prudemment plaidé lors de sa visite, cette impuissance semble parfaitement correspondre avec le besoin croissant de Russie qu’expriment pragmatiquement les nations européennes. Un besoin croissant de Russie pour, paradoxalement, avant tout tenter de surmonter au mieux les conséquences terribles sur leurs économies de la crise financière américaine de 2008.

Assistons-nous aux prémisses d’un nouvel ordre stratégique mondial ?