L’échec des courants libéraux et nationalistes en Russie

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La journée de l’Unité russe, le 4 novembre dernier, aura permis de prendre conscience d’une forte évolution sur le plan politique intérieur en Russie.

Au cours des années 90, un courant politique nouveau a péniblement émergé de l’eltsinisme. Il eut, il faut le reconnaître, beaucoup de mal à faire sa place entre un parti libéral démocrate (LDPR) ultranationaliste panslave, qui était le premier parti de Russie après les élections législatives de 1993, et la puissance du parti communiste russe (KPRF), premier parti de la fédération en 1995.

Au cours de cette période, de nombreux groupuscules de toutes les couleurs traduisent la vitalité d’une vie politique russe qui se cherche, tandis qu’émergent en plus des courants précités relativement trois grandes tendances politiques que l’on peut qualifier de: ultranationaliste, libérale pro-occidentale et d’extrême gauche radicale.Les courants libéraux pro-occidentaux ne cesseront de voir leur poids diminuer au cours des deux décennies qui suivirent, une partie étant absorbée par Russie unie et l’autre sortant du champ parlementaire, tandis que l’extrême gauche radicale n’arrivera pas à percer, l’espace de gauche étant très largement et majoritairement occupé par le puissant parti communiste tant sur le plan politique qu’idéologique.

Les mouvements ultranationalistes non parlementaires ne parviendront quant à eux jamais à se fédérer, si ce n’est le 4 novembre, lors de la traditionnelle Marche russe qui se tient depuis 2005, le jour de l’Unité nationale. Si la marche réunissait traditionnellement quelques milliers de participants, ce chiffre est monté jusqu’à 20.000 en 2011 avant de diminuer chaque année pour atteindre 10.000 en 2013, 2.500 en 2014 et seulement quelques centaines cette année.

Alors que la situation politique tant intérieure qu’extérieure aurait pu permettre l’émergence d’une forte mouvance ultranationaliste, cela n’aura finalement n’a pas été le cas. Comment l’expliquer?Les nationalistes russes radicaux, il est vrai, font face à un perpétuel dilemme entre la réaction à une Russie post-impériale et donc multiconfessionnelle et la solidarité partisane envers des mouvements nationalistes de l’étranger proche russe, parfois en lutte politique voire militaire contre le Kremlin. Pour cette raison, de nombreux nationalistes russes sont allés combattre dans les rangs des insurgés du Donbass mais aussi avec l’armée ukrainienne au côté de volontaires scandinaves, français ou géorgiens. L’année dernière, la marche russe avait vu par exemple une colonne pro-russe et une colonne pro-ukrainienne défiler côte à côte.

Une autre raison est l’évolution de leur adversaire principal, qui est le pouvoir politique russe.

En 1995 est fondé le parti Notre Maison la Russie, soutenant Eltsine lors de la présidentielle de 1995 et qui deviendra en 1998 le Parti de l’Unité de la Russie. Alors qu’au cours des années 90, la gouvernance était aux mains d’oligarques globalistes, la reprise en main du pouvoir par les structures de force russes au cours des années 2000 saura jouer le conservatisme et le patriotisme comme cartes maitresses de la nouvelle idéologie russe. En 2001, Unité fusionna avec le parti de l’ancien maire de Moscou pour donner naissance à Russie unie, le parti de gouvernement actuel que l’on peut qualifier de parti de centre droit et réformateur mais aussi conservateur et souverainiste.

Contrairement aux années 90, les élites russes actuelles, au cœur des cercles de gouvernance, sont totalement décomplexées et ne renient plus les héritages nationaux passés, qu’ils soient tsaristes, impériaux ou communistes, tout en cherchant à développer une identité politique et civilisationnelle propre à la Russie très affirmée, la différenciant tant de l’Occident que de l’Asie.Cette évolution cruciale de la ligne politique affirmée par le pouvoir politique russe et la réussite à ce jour de ce grand écart idéologique a littéralement asphyxié la rhétorique contestataire ultranationaliste en occupant notamment l’espace narratif et moral par le développement d’un patriotisme fédéral historique.

Le retour de la Crimée dans la Fédération de Russie mettait toute la société russe en accord avec la politique du Kremlin, y compris tant des libéraux modérés (dont nombre étaient descendus dans la rue en 2011) que des étatistes souverainistes ou encore des nationalistes. Tous comprennent bien en effet que le problème principal n’est pas Vladimir Poutine mais les pressions occidentales sur la Russie, la politique américaine dans le proche étranger russe ou le risque terroriste islamiste, les deux derniers étant directement liés.

La forte chute du rouble que le pays a connu il y a maintenant 12 mois a en outre entrainé le départ de centaines de milliers d’étrangers notamment d’Asie centrale, réglant ainsi un problème migratoire qui dans certaines grandes villes commençait à devenir critique.

Cette exclusion de facto du champ de gouvernance d’une partie de la mouvance libérale pro-occidentale mais aussi des mouvances radicales d’extrême gauche et ultranationalistes a sans doute grandement contribué à leur alliance contre nature que l’on a pu constater lors des manifestations de 2011. A cette occasion, certains commentateurs ont parlé de l’émergence d’une nouvelle tendance idéologique qui fusionnait ces courants libéraux pro-occidentaux et ultranationalistes pro-occidentaux, idéologie que l’on peut qualifier de “Nationale-démocrate” ou “Nationale-libérale”.Mais la désoccidentalisation forte que connaît la Russie actuellement sur le plan politique et moral, avec le renouveau des valeurs, de la religion et la promotion de la famille traditionnelle ont coupé l’herbe sous le pied des ultranationalistes russes et pro-occidentaux, mettant ces derniers devant le fait accompli alors que le Kremlin a entamé et mène réellement une politique de renouveau national de très grande ampleur, politique qui passera par l’établissement d’une voie russe différente de la voie occidentale.

 

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