Bataille pour l’Eurasie (3)

Cet article a été publie originellement dans le second numéro de la revue perspectives libres

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 Modus opérandi  du coup d’état démocratique

 La logistique de communication et de d’organisation des manifestations qui ont dans certains cas durés des semaines, dans le froid glacial de l’hiver Ukrainien, n’a rien laissé au hasard. Le calme et la rapidité de la prise du parlement, dans un pays pourtant instable et violent comme l’est la Géorgie, ou le rôle d’une ONG proche de l’opposition, le CESID[1] qui contestera les résultats des élections avant leur proclamation en Serbie, puis le lancement des manifestations de rue coordonnées, ne sont pas non plus des hasards. En effet ces évènements sont le fait de réels permanents formés aux techniques de l’agitation, et regroupés au sein de divers mouvements. Ces véritables révolutionnaires professionnels vont organiser les renversements de pouvoir, tout en se déplaçant d’états en états et de révolutions en révolutions, pour le compte des ONG, et donc des intérêts américains en Europe. Le point commun de ces révolutions a d’abord été l’apparition dans chaque pays de mouvements de jeunesses absolument similaires tant sur le fond que la forme, et qui ont appliqué la même méthode révolutionnaire. La première révolution de couleur qui s’est déroulé en Serbie en 2000 a été en très grande partie organisée par un mouvement de jeunesse intitulé Otpor[2], véritable moteur des contestations étudiantes. Alexander Maric, un des cadres d’Otpor, reconnaitra plus tard “ses liens directs avec des membres du département d’état et de la maison blanche et aussi que le gros des financements venait de l’USAID, Freedom House et l’Open Society“[3]. Maric précisera que “des séminaires de formation ont eu lien à Budapest, Bucarest et en Bosnie pendant le printemps précédant les événements“. Les militants d’Otpor y rencontreront des responsables de l’Albert Einstein Institute, ainsi que des militants du mouvement Polonais Solidarnosc [4].
La technique utilisée, affirmera Maric, est directement inspirée des techniques d’actions non violentes de Sharp et Ackerman, visant à: “discréditer le pouvoir, inciter à l’action civique et la manifestation pacifique, le tout supervisé par une association sans exécutif identifiable. (…) Le mouvement devant en outre se présenter comme apolitique et viser surtout les indécis“[5]. En outre le groupe se devait : “d’user de messages courts, des slogans et les militants devaient être choisis selon leur apparence, pour vendre l’image du mouvement en lui donnant un aspect romantique et libertaire, à même d’inspirer des vocations“[6]. Enfin le mouvement pouvait compter sur un appui massif du main-stream médiatique planétaire, qui s’était assuré de filtrer et trier les informations pour pouvoir présenter les manifestations comme des rassemblements spontanés d’une jeunesse aspirant à la liberté et la démocratie, et souhaitant intégrer la communauté internationale.

 

Après la réussite de l’opération en Serbie, deux cadres d’Otpor, Aleksandar Maric et Stanko Lazendic seront employés par Freedom House pour aller dispenser leur savoir et leur expérience dans les autres pays visés et apporter  leur soutien aux révolutions en Géorgie en 2003 et en Ukraine en 2004. L’assistance portera tant sur les techniques de protestations non violentes que de négociations avec les autorités ou encore sur la logistique nécessaire pour tenir des manifestations durant plusieurs semaines. Cela sera particulièrement le cas en Ukraine ou des milliers de tentes et de couvertures sont mises à disposition des manifestants pour camper sur la place de l’indépendance dans un froid glacial. Pendant l’occupation de la place des repas gratuits sont servis. La signalétique choisie par ces groupes frères (le poing tendu) laisse peu de doute quand à leur interdépendance, que ce soit pour le groupe Ukrainien Pora[7], le Kirghize Kelkel[8]  ou le Géorgien Kmara[9]. Il est à noter que dans nombre de pays n’ayant pas (encore ?) été visés par des révolutions de couleur, des groupes similaires existent déjà, que ce soit par exemple en Biélorussie (Zubr[10]), en Russie (Oborona[11]) ou en Albanie (Mjaft[12]), ce dernier pays étant actuellement le théâtre de manifestations très importantes. On peut également citer les mouvements Ouzbeks Bolga et Youkol, ainsi que le mouvement azéri Jok. Ce sont d’ailleurs les militants du mouvement Géorgien Kmara qui ont entrainés leurs cousins russes d’Oborona, ajoutant ainsi encore de l’huile sur le feu aux relations tendues entre les deux pays.

 

Quand à Otpor, il s’est transformé en parti politique serbe en 2003, échouant lamentablement aux législatives de la même année avant de se fondre dans le parti politique DS de Boris Tadic, l’actuel président. La plupart de ses membres se sont reconvertis dans des centres d’analyse politique locaux tels que CANVAS et CNVR. L’un des cadres, Ivan Marovic, dès 2003[13], a coopéré avec l’ICNC déjà mentionné, et l’entreprise York Zimmermann Inc., ainsi qu’avec une équipe de concepteurs des jeux informatiques (BreakAway Ltd.) à l’élaboration d’un jeu vidéo paru en 2005 (A Force More Powerfull. The Game of Nonviolent Strategy). Le jeu[14] repose sur les différentes stratégies et tactiques d’action non-violente qui ont été employées à travers le monde pour renverser les « régimes dictatoriaux » et les « ennemis de la démocratie et des droits de l’homme », dont Milosevic.

 

Ainsi, la boucle est bouclée et les jonctions faites avec les théories d’Ackerman de développement des jeux vidéo sur des scénarios réels, ou à venir de révolutions de couleurs, cités antérieurement. Il faut noter une autre particularité des révolutions de couleur. Elles sont axées sur le renouveau national et l’anti impérialisme (Russe ou postsoviétique, par glissement sémantique) et elles ont vu la participation active des nationalistes et de certains groupes d’extrême droite dans les pays concernés. Ce sera particulièrement le cas en Serbie et en Ukraine. Pour cette raison, on a parlé de front Orange-brun[15] contre la Russie, à cause d’une coalition hétéroclite réunissant des démocrates pro-occidentaux et des mouvements d’ultra-droite, voire néo nazis, ouvertement anti Russes. Ces alliances se confirment aujourd’hui en Russie ou la faible et disparate opposition libérale manifeste à côté des skinheads nationalistes de gauche du part national bolchevique, ou du principal mouvement d’extrême droite.

 

Bilan et avenir des révolutions de couleur

Le but des révolutions de couleur nous l’avons vu est de renforcer la présence Américaine (et donc de l’Otan) au cœur de l’Eurasie, autour de la Russie, afin d’atteindre des objectifs géostratégiques et géopolitiques théorisés au siècle dernier par les stratèges géopolitiques Mackinder ou Spykman. Il est à noter que ceux-ci avaient vu juste, L’Eurasie se révélant comme la zone essentielle du monde en termes de ressources énergétiques, de populations et de frontières entre aires civilisationnelle.

 

Bien sur ces révolutions présentant de nombreux points communs, comme le fait de viser des états jugés stratégiques pour des raisons géographiques ou politiques (être des états frontaliers de la Russie) ou encore situés sur des corridors énergétiques. Mais l’un des points communs des révolutions de couleurs est également de viser des états avec des régimes politiques relativement faibles ou instables. La Russie et la Biélorussie par exemple n’ont pas du tout été inquiétés par ces menaces, notamment en ayant rapidement pris les mesures nécessaires, les ONG ayant été interdites, et les mercenaires de la révolution expulsés. La Russie à d’ailleurs innové en développant un contre mouvement de jeunesse à grande échelle, les Nashi[16], destiné à prévenir toute tentative de révolution de couleur dans la rue en étant capable de tenir le pavé. En outre, sur le territoire de la fédération de Russie et en Biélorussie, les activités du réseau Soros et ses filiales ont tout simplement été interdites.

 

Pour Karine-Ter-Sahakian[17], déjà en 2008, les régimes nés de ces révolutions de couleur n’avaient aucun avenir. Cette dernière affirmait que : “L’effondrement des révolutions de couleur dans l’espace postsoviétique est tout à fait naturel, voir simplement inévitable. L’enjeu de la démocratie et du libre marché, dont George Bush se gargarisait avec beaucoup d’enthousiasme, s’est avéré prématuré”. Effectivement, ces révolutions de couleurs qui portent pour beaucoup des noms de fleurs (révolution des tulipes, des œillets, des roses) ont fanés. Les cas de l’Ukraine et de la Serbie, sont emblématiques de l’incapacité des dirigeants issus des révolutions de couleur à maintenir une stabilité économique minimale, même en ouvrant leurs économies aux intérêts Américains. Le mouvement a été un échec du moins dans son aspect politique à long terme. Sa rhétorique et sa tactique ont été parfaitement décryptées et décodées.

 

Des contres mesures efficaces ont facilement pu être mises en place et ont fait leurs preuves en Russie et en Biélorussie. En outre, il est évident que la crise financière a diminué les budgets disponibles pour les révolutions de couleurs. Enfin, la riposte russe, diplomatique ou militaire en août 2008, à démontré qu’elle était prête à s’opposer à ces viols démocratiques et  à protéger ces citoyens, même à l’extérieur de ses frontières.

 

Maintenant, toute cette énergie intellectuelle dissipée par les promoteurs des révolutions de couleur dans diverses tentatives de déstabilisation de la Russie pourrait utilement s’employer à par exemple mesurer les conséquences à venir du printemps arabe car pour le moment, elles restent incalculables mais devrait concerner tant l’Europe et la Russie que l’Amérique.

 


[1] http://en.wikipedia.org/wiki/CeSID

[2]http://fr.wikipedia.org/wiki/Otpor

[3]Patrice Vidal – Dans l’arrière cour de Moscou, p. 147 et 148

[4] http://fr.wikipedia.org/wiki/Solidarno%C5%9B%C4%87

[5]Patrice Vidal – Dans l’arrière cour de Moscou, p. 149 et 150

[6]Patrice Vidal – Dans l’arrière cour de Moscou, p. 151

[7] http://fr.wikipedia.org/wiki/Pora

[8] http://en.wikipedia.org/wiki/KelKel

[9] http://fr.wikipedia.org/wiki/Kmara

[10] http://fr.wikipedia.org/wiki/Zubr_%28Bi%C3%A9lorussie%29

[11] http://www.oborona.org/

[12]http://en.wikipedia.org/wiki/Mjaft

[13] http://socio-anthropologie.revues.org/index1248.html

[14] http://www.aforcemorepowerful.org/game/index.php#about

[15] http://www.win.ru/en/ideas/6645.phtml

[16] http://nashi.su/

[17] http://eafjd.eu/spip.php?breve1692

 

 

 

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