Belgrade une pride pour l’Europe ?

Je le retranscris en Francais ci-dessous :

 

La première tentative de gay-pride en 2001 s’était transformée en bain de sang puisque des milliers de patriotes avaient sauvagement agressé la petite centaine de manifestants homosexuels présents, ainsi que les policiers présents, totalement débordés par tant de violence, d’énergie et de détermination. A l’époque, la violence et le mécontentement populaire avaient été mis sur le compte d’une immaturité totale de la société serbe, deux ans après la guerre du Kosovo et les bombardements de l’OTAN, et au sortir d’une décennie de désintégration Yougoslave.


Pourtant la seconde tentative de gay-pride, l’année dernière, soit sept ans plus tard, n’a même pas pu avoir lieu, le rassemblement ayant sagement été annulé par les autorités qui ne se sentaient pas capables de protéger les quelques 300 à 400 manifestants attendus, cela malgré un déploiement policier absolument incroyable. plus de 7.000 hommes, dont des unités anti-terroristes. La police avait craint que plus de 15.000 contre-manifestants ne mettent la ville à feu et à sang, comme ça a été le cas lors des manifestations après l’indépendance du Kosovo en 2008. Malgré tous ces risques, le gouvernement ” pro-occidental ” de Boris Tadic avait promis que la parade 2010 aurait lieu. Tenant parole, ce dimanche 10 octobre 2010, près de 300 manifestants (dont une bonne moitié d’étrangers, principalement d’autres pays de l’UE), protégés par 6.000 policiers et des hélicoptères, ont donc ” paradé ” quelques heures à Belgrade centre, la veille 8.000 personnes du mouvement Orthodoxe Serbe ” Dveri ” avaient défilés pacifiquement pour dénoncer la tenue de cette parade. Le jour de la parade à été moins calme. En effet, entre 6 et 7.000 jeunes patriotes ont affronté les forces de l’ordre et semé le chaos dans les rues de la capitale serbe. Les violences ont atteint une telle intensité que les blindés ont dû intervenir pour que la police reprenne le contrôle de la situation.

Bilan de cette gay-pride 2010. un million d’euros de dégâts dans la ville, 150 blessés et plus de 250 interpellations. Pourtant 85% des Serbes sont toujours ” opposés ” à la tenue d’une gay-pride, et seulement 11% se déclarent pour. On peut dès lors se demander ce qui ” pousse ” l’Etat serbe à tout faire pour que se tienne cette parade, alors même que la Serbie à déjà déposé sa candidature d’adhésion à l’Union Européenne en décembre 2009 et devrait se voir octroyer très prochainement le statut de ” candidat officiel à l’adhésion “.

La réponse est manifestement à chercher ailleurs, et à mettre en lien avec la stabilité politique en Serbie des prochaines années. En effet, plusieurs événements politiques récents sont hautement significatifs de la direction que semble prendre la Serbie dans le dilemme. ” Kosovo ou UE “. Dans la foulée de la déclaration de la Cour internationale de justice (CIJ) qui a reconnu la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008 comme n’ayant pas violé le droit international, le parlement serbe à adopté le projet de résolution de l’Union européenne qui implique que Belgrade ” renonce à évoquer l’illégitimité de l’indépendance du Kosovo “. La semaine dernière, ce même parlement a voté une résolution ” condamnant ” les crimes commis contre les Serbes et contre les citoyens de la Serbie pendant les conflits qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie dans les années 1990, mais qui ” déplore ” seulement les victimes des frappes aériennes de l’Otan de mars à juin 1999 menées contre la république Fédérale de Yougoslavie. Alors que l’intégration à l’UE n’est pas encore validée et le Kosovo déjà presque perdu, la Serbie se situe aujourd’hui dans une situation économique plus que dramatique, avec 20% de chômeurs et un salaire moyen de 320 euros. Le gouvernement voit sa côte de popularité décliner, inférieure à 22% aujourd’hui, le président Tadic ayant le soutien d’à peine 45% des membres de son propre parti.

De l’autre côté, ” l’opposition ” attend tranquillement que la pression monte. Politiquement, le bloc patriote était relativement fédéré via le Parti Radical Serbe (SRS) du moins jusqu’en 2008. Le Parti Radical Serbe est même devenu en 2007 le premier parti politique de Serbie, hostile à l’UE et ouvertement Pro-Russe, il mettait en danger l’intégration de la Serbie dans l’UE. Son leader, Vojislav Seselj, s’est volontairement rendu en 2004 au TPI d’où il devrait prochainement sortir (si il ne connaît pas le sort de Slobodan Milosevic) le tribunal n’ayant jusqu’à présent pu prouver sa quelconque responsabilité dans les accusations qui lui sont reprochées. Pour cette raison sans doute, en 2008 une scission au sein du Parti Radical éclate, aboutissant à la création du Parti Progressiste Serbe (SNS), qui soutient au contraire l’intégration de la Serbie dans l’UE et transige avec le bloc au pouvoir lui permettant ” si ” besoin, de canaliser une partie de l’électorat patriote/conservateur.

A une autre échelle, le pouvoir serbe sait très bien la puissance et la détermination des ” groupes nationalistes ” de rue. Ceux-ci ont contribué de façon assez spontanée aux manifestations qui ont abouti à la chute du régime Milosevic en octobre 2000. Certains de ses jeunes, les supporters ” Delije ” ont même composé le vivier dans lesquels les chefs de guerre serbe recrutaient leurs miliciens. Principaux responsables des heurts de dimanche, et que la presse nous présente aujourd’hui comme des ” néo-nazis violents, ils ont pourtant reçu un award de la radio serbe pro occidentale B-92 en 2000 pour avoir désarmé pacifiquement un poste de police ! Les temps changent, et en une décennie ces ” nationalistes ” ont fait du nouveau gouvernement leur cible, refusant la perte du Kosovo et la politique pro Européenne engagée, jugée incompatible avec les valeurs traditionnelles serbes. Murissant, ils se sont politiquement structurés, développés et renforcés, devenant de véritables mouvements politiques, avec des moyens très importants, de nombreux soutiens et des modes de financements autonomes. Sur eux le gouvernement n’a absolument aucune emprise ni aucun moyen de contrôle si ce n’est une répression totale, féroce et une discréditation publique. Or c’est exactement le cas, la plupart des responsables d’organisations patriotes ont soit été préventivement arrêtés (comme Mladen Obradovic, leader de Obraz qui risque jusqu’à 12 ans de prison en vertu de la nouvelle loi sur la violence) ou sont en fuite comme Misa Vacic et Igor Marinkovic, de l’association Nashi-1389. Ces derniers ont donné samedi 16 octobre une interview de leur ” cavale”, expliquant le très haut niveau de détermination de l’Etat à les responsabiliser politiquement suite aux événements, et ce par tous les moyens. violences policières et pressions policières à faire des fausse déclarations. Le président l’avait annoncé. la lutte contre cette violence était la “priorité essentielle du pays, plus importante même que l’intégration européenne, car la violence mène au fascisme”.

Comme il y a un an, le Parlement va donc renforcer la loi anti ” violences ” afin d’éradiquer le ” crime organisé et l’activité des groupes extrêmes et d’autres organisations qui essaient de menacer la sécurité des citoyens et de la propriété “. Dans le même temps, une campagne de presse a commencé à dire que les financiers des mouvements patriotes serbes étaient en Russie (ici et là). Mieux, la semaine qui a suivi, des heurts opposant de hooligans serbes aux policiers italiens lors d’un match de qualification de l’Euro 2012 ont été suspectés d’être financés par des chefs de bande mafieuses, spécialisés dans le trafic de drogue, et ce afin de déstabiliser l’Etat serbe. Cette campagne de PR assimilant ” patriotes ” à ” mafias ” et ” violence ” est destinée à refaire surgir le spectre de l’assassinat du premier ministre libéral Zoran Djindjic en 2003. Le lendemain des événements, comme par enchantement, le vice-ministre italien des Affaires étrangères Alfredo Mantica affirmait en visite à Belgrade que. ” les incidents survenus lors de la Gay Pride et les violences de Gênes peuvent entraver l’adhésion de la Serbie à l’Union européenne ” et que ” certaines forces hostiles à l’adhésion de la Serbie à l’UE essaient de faire tout leur possible dans le but de saper ce processus “.

Voilà sans doute le réel but de la tenue de la gay-pride, si très officiellement, il s’agit de satisfaire aux exigences du très puissant lobby-gay de Bruxelles, officieusement pour l’Etat serbe, il s’agit avant tout de discréditer, museler, voire neutraliser au maximum les forces de contestations éventuelles qui pourraient tout simplement ” refuser ” certains décisions politiques cruciales pour la Serbie, au tout premier plan desquels une éventuelle obligation de reconnaissance du Kosovo pour joindre l’UE. Comme l’a déclaré à RIA Novosti le directeur exécutif du Centre Nixon à Washington, Paul Saunders. ” la Serbie ne pourra intégrer l’UE et encore moins l’OTAN sans reconnaître l’indépendance de la province du Kosovo “. On peut même imaginer que la lenteur de l’intégration soit mise sur le dos des opposants au pouvoir, le pouvoir serbe masquant ainsi son incompétence et sa mauvaise gestion globale. Bien sûr, la Serbie, isolée, n’avait que peu d’autre porte de sortie. L’orientation Européenne a été souhaitée et confirmée par le peuple lors des dernières échéances électorales et l’Etat serbe a joué toutes les cartes légales pour tenter de ” sauver ” le Kosovo, mais qu’à t’il obtenu en échange ?

Le pays ne s’est pas remis de la destruction de son économie par les bombes des pays de l’Union Européenne, qu’elle prétend aujourd’hui intégrer. Cette même union qui ” joue ” avec l’intégration de la Serbie pour des faits divers. Il faudrait sans doute rappeler à Alfredo Mantica que les pays phares de l’UE, comme la France, sont régulièrement victimes d’émeutes urbaines, ou comme l’Italie, de troubles dans leurs stades de football. Enfin et surtout ce qui guette la Serbie est la perte ” officielle ” du Kosovo, perte qui semble donc se profiler bien avant d’avoir rejoint la famille de Bruxelles. Il est dès lors facile de comprendre que la gay-pride est un élément mineur de l’actualité, mais bien sans doute la première convulsion d’une population Serbe qui pourrait tout simplement refuser les involutions en cours, quel qu’en soit le prix à payer, et les moyens nécessaires, notamment un basculement politique total, par voie démocratique ou non.

Alexandre Latsа

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